Les vampires et moi : toute une histoire, fardée de mensonges et de vérités. De fadaises et racontars. Comme si dès l'origine, le destin avait voulu que tout soit prédestiné, que tout s'entrechoque pour m'amener à cet instant, à cette fastidieuse seconde où l'horloge laisse entendre son tic tac mélodieux, une poche de sang dans une main, la télévision en fond... je suis devenue ce que je chassais, la première créature que j'ai tuée ; un vampire.

› Under Control Je me nomme Elisabeth Pandora Blackson et ceux qui affirment que naître dans une famille de chasseurs est une chance, n'ont jamais connu les Blackson, croyez-moi. J'étais la première née et dès les premiers instants je m'étais tournée vers mon petit frère que je ne voulais surtout pas voir devenir aussi glacé que les autres. Comme si leur cœur avait gelé durant l'un de leurs affrontements, tandis que dès mes six ans j'apprenais le métier de chasseuse, ce que je deviendrais invariablement un jour. Contrairement aux autres petites filles, je savais que les monstres sous mon lit étaient réels, qu'ils existaient bel et bien dans la réalité et qu'un baiser sur le front ne les chasserait pas dans les ombres dont ils étaient issus. Mais si j'apprenais à être une bonne combattante, je préférais être celle qui fabriquait des plans, tissait des pièges et se perdait des heures sur un ordinateur. Une fille qui pourtant adorait son frère qui était la seule véritable personne à avoir une importance dans ma famille de glaçons sur pieds qui n'hésitèrent pas à me lâcher dans une chasse à 15 ans, comme si j'étais prête. Comme si... j'étais de taille à affronter une créature rapide, qui ne craignait rien d'autre que la décapitation. Une créature aux crocs aussi acérés que des rasoirs. Je l'avais pisté, j'avais remonté sa trace, surveillé le nid où il se trouvait en attendant qu'il sorte à découvert, loin des autres. Et cela n'avait pas tardé. Les lèvres closent, le regard déterminé, j'étais parvenue à lui trancher la gorge en l'amenant à l'endroit que j'avais voulu et où j'avais pu prendre le dessus. C'était ainsi que j'avais chassé, ainsi que j'avais lu la fierté dans les yeux de ma famille lorsque j'étais rentrée, les vêtements imprégnés du sang de la première créature que j'avais tuée. Une créature des ténèbres, un monstre qu'il fallait absolument éliminer... mais parce qu'il tuait des innocents.

Ce fut la première chasse, mais pas la dernière, ni ce qui devait marquer la fin de mon entraînement, au contraire. Le temps devait affiner mes compétences, et non empâter mes réflexes ou distraire mon esprit de ce qu'il serait possible d'apprendre. Ce fut ainsi que je numérisais de vieux bouquins, me chargeant de créer quelque chose de plus rapide que de devoir fouiller dans tous ces bouquins, quand on ne pouvait pas tout savoir sur tout. Mais ce n'était ni simple, ni rapide, même en piratant certaines bases déjà constituées. Et en dehors de ma famille, autant dire que le monde était plutôt restreint, à l'exception d'autres familles de chasseurs à l'occasion. C'est ainsi que j'ai rencontré Bryan, qui me sauva la mise dans une situation difficile avec un autre garçon un peu trop collant. Mais plutôt que de le remercier, j'avais simplement rétorqué que je m'en serais sortie toute seule. Ce qui l'avait fait rire, vraiment. Amusé par cette fille trop sûre d'elle qui lui avait immédiatement plu. Il était même venu fouiner près de notre maison, certain qu'il finirait par me faire tomber dans ses filets... et ce fut effectivement le cas, même si je l'éloignais tout de même de cette vie. Puisque nous avons commencé à sortir ensemble, pas à chasser puisque s'il ne faisait pas parti de cet univers. Il espérait que je finirais par vivre une vie normale à ses côtés, que je lui dévoilerais mes secrets... Vous y croyez vous à une vie normale ? Je lui riais souvent au nez lorsqu'il tentait d'aborder le sujet d'un hypothétique mariage, d'une hypothétique maison bien à nous.

A vrai dire, peut-être que j'aurais fini par me laisser convaincre, mais c'était difficile d'abandonner tout ce que nous avions appris jusque-là, ou même d'abandonner Velkan. D'ailleurs, le soir de sa première chasse, je l'attendais chez nous en faisant les cent pas, inquiète, à vérifier l'heure toutes les trente secondes. Jusqu'à ce qu'il rentre finalement, la pièce maîtresse de sa victoire entre ses mains... sauf que rien ne se passa comme prévu. A croire que j'avais senti qu'un problème allait se produire cette nuit-là, puisque des vampires nous attaquèrent presque aussitôt. Armée, je m'étais battue, au même titre que les autres membres de ma famille, poursuivant un assaillant jusque dans ma chambre où ce furent trois vampires qui se trouvaient-là. A croire qu'ils m'attendaient, car tandis que j'attaquais, me défendais, l'un des vampires en profita pour me mordre, m'affaiblissant dans la foulée alors que je venais de trancher la gorge du premier vampire. Le souffle saccadé, je l'avais repoussé, mais pas assez vite pour ne pas sentir le goût ferreux du sang du troisième sur ma langue, alors que je tranchais la gorge du second pour le décapiter comme ses deux autres amis, souillant ma chambre de cette odeur qui ne partirait sans doute jamais totalement. Mais il n'y avait plus aucune trace du troisième... envolé. Volatilisé.

Essuyant mes lèvres du dos de ma main, j'étalais simplement le sang, alors que je passais rapidement dans la salle de bain pour me rincer la bouche, nettoyer une partie de mes traits, les doigts crispés sur le lavabo rougit de sang, alors que j'entendais mon père sermonner mon frère et lui prouver combien il avait pu le décevoir. Que dirait-il de moi s'il savait que j'avais laissé un vampire faire couler de son sang dans ma gorge ? me demandais-je tandis que j'observais mon reflet dans le miroir, avant de revenir dans la salle où se trouvait tout le monde, le visage plus propre que le reste de mon être poisseux. Personne ne s'inquiéta de savoir si j'allais bien, tout comme mon frère était trop préoccupé par l'erreur qu'il venait de commettre. Une erreur de débutant pensait sans doute l'intégralité de ma famille, et en un sens c'était vrai. On ne menait jamais les monstres jusque chez nous.

En plus, il me semblait avoir la tête qui tournait légèrement et j'avais clairement besoin d'une douche. Ce que je fis ce soir-là, observant la morsure que je dissimulais sous un pansement que je me fis à l'abri des regards. La plaie restait intacte, ce qui voulait sans doute dire que je ne deviendrais pas un monstre. Pourtant, le lendemain, alors que je me trouvais avec Bryan, j'eus un énième vertige dû à mes sens hors de contrôle, une énième sensation étrange à la vue de sa gorge où je pouvais voir et entendre le bruit que faisait son sang en parcourant ses veines. Mes dents n'eurent aucun mal à lui trancher la gorge et à me laisser me repaître de ce fluide qui à présent m'était vital... Tombant à genoux à côté du cadavre de mon petit ami, j'eus pour seul réflexe de téléphoner à Velkan : " Velk... J'ai... un problème... Viens vite s'il te plait, j'ai besoin de toi. " dis-je, tandis que des larmes glissaient sur mes joues. Me redressant en l'attendant, je n'osais m'écarter de Bryan, m'éloigner, je pouvais encore sentir la saveur de son sang sur ma langue et le plaisir que 'avais ressenti en m'en abreuvant. Alors c'était ça, devenir un monstre ?

Mais les paroles de mon frère étaient différentes, elles ne m'accusèrent pas, ne furent pas le glas de ma condamnation. Non, bien au contraire... il se contenta de me prendre dans ses bras comme s'il ne craignait pas ce que j'étais devenue... C'est pas grave Eli, on trouvera un moyen de cacher ça aux parents. Tu n'es pas la seule en plus, j'ai un problème aussi... Le loup garou que j'ai chassé, c'était un Alpha et il m'a laissé une trace de lui... ...et c'était sans doute bel et bien le cas. Lui aussi était devenu l'un des monstres que nous avions appris à affronter et à détruire durant toute notre vie. L'ironie du destin avait fait que nous étions devenus la première chose que nous avions tué.

Il m'a aidé à camoufler sa mort, à faire en sorte que les humains n'y croient que du feu et ma famille qu'un vampire traînait encore dans les parages et cherchait à nous harceler en tuant des êtres qui pouvaient nous être proches. Tandis que Velkan et moi nous protégions à notre manière... il m'aidait à garder le contrôle, à gérer mes sens et ma soif... tandis que je m'assurais que ses pleines lunes se passent au mieux. Finalement, il fallait croire que nous étions fait pour vivre cette nouvelle vie au mieux, puisque nous avons rapidement appris à nous gérer, nous contrôler, respectant ces valeurs qu'on nous avait inculquées durant toutes ces années. Mais tout secret finit par s'éventer... surtout si vous conservez dans une glacière électrique pleine de poches de sang dans votre penderie, et que vous vous absentez à chaque pleine lune pour ne rentrer qu'à l'aube en pleine forme et sans la moindre trace de sang à l'horizon. Alors il y eut ce matin de trop, où après une nuit de plus, notre famille toute entière nous attendaient, prête à nous assassiner de sang froid pour ce que nous étions devenus. Sauf que, bien sûr, nous avions su réagir au mieux compte tenu de la situation, mais je compris dès la première seconde qu'aucune explication au monde ne les ferait changer d'avis. Ce serait eux ou nous. Et la flèche qui se ficha dans le bras de mon frère termina de me convaincre, si cela était nécessaire, qu'il fallait les tuer avant que ce soit eux qui le fassent.

Ils étaient expérimentés et entraînés, nous étions les monstres qu'ils avaient élevé. Je ne fis pas attention aux meurtres que commis mon frère, mais le sang de ma mère coulant dans ma gorge, le poux s’éteignant de mon oncle lorsque je lui brisais la nuque et l'odeur de sang, partout autour de nous, la lame se fichant dans la moelle épinière de mon autre cousin qui tentait de prendre mon frère à revers alors que celui-ci s'occupait de son frère. Tout ceci, persista dans mon esprit, tourmenta mon âme... si j'en avais encore une. Le souffle court. Mes plaies se refermant déjà, j'avais observé le carnage sans ouvrir les lèvres... nous avions fait ce qu'il fallait pour rester en vie, voilà tout ce que je m'autorisais à penser à cet instant. Car Velkan se mit à hurler avant de tomber à genoux au sol... je n'avais pas le droit d'être faible à cette seconde, alors je réfléchissais de façon pratique, repoussant le moindre sentiment à l’égard des cadavres. L'enveloppant de mes bras, mon visage près du sien, l'acte en lui-même remporta la première manche en me laissant pleurer contre lui, secouée par nos sanglots et la tristesse d'en être arrivé à ça.

Je ne sais plus combien de temps nous sommes restés ainsi, à genoux sur le sol, à pleurer l'un contre l'autre malgré nos races opposées. Puis, ce fut d'un commun accord que nous avions décidé de brûler la maison pour dissimuler les traces de nos méfaits, et faire croire à tous à un accident. Comme dans ce film... dont le nom ne me reviendra jamais. Nous avions simplement regardé la bâtisse brûler sous nos yeux, emporter les dépouilles des êtres qui étaient pourtant de notre sang. Mes doigts s'étaient glissés entre les siens comme pour y chercher du soutien, alors qu'à travers la fumée, je sentais cette odeur particulière de chair brûlée qui me hanterait des songes suivants.

Personne ne trouva à redire à cet incendie accidentel survenu à la fin de la nuit, emportant chaque être de notre maisonnée quand nous étions... ailleurs. Cela marqua le début d'une autre vie, où nos races nous poussèrent à ne plus rester à vivre ensemble. Pourtant nous restions proches... même si je le traitais de chien et qu'il affirmait que je sentais mauvais. Merci, la réciproque était vraie... il sentait le chien mouillée. Néanmoins je refis ma vie, me lançant clairement dans l'informatique au point que l'on me proposa un job plutôt particulier. Payée pour pirater des systèmes en toute légalité, c'était plutôt amusant. Sans oublier que je profitais clairement de la vie, sans pour autant goûter à la moindre gorge humaine. Non. Tout comme je ne chassais plus, je restais à l'écart du reste des vampires... Même si l'un d'eux, celui dont j'ai goûté le sang, celui qui a fait de moi celle que je suis aujourd'hui, le maître du nid que nous avions éradiqué n'était jamais bien loin, rôdant comme une hantise malsaine et malveillante qui cherche à m'entraîner près de lui. Une hantise parce que je ressentais cette attirance sournoise pour cet être que je haïssais pourtant de toutes mes forces et dont je connaissais le parfum par cœur à présent.